• La bataille de Camerone, 30 avril 1863

    by  • 23 avril 2013 • Jadis ou naguère • 0 Comments

    La bataille de Camerone

    Le 30 avril 1863, pendant la campagne du Mexique lancée par Napoléon III, un détachement de la Légion étrangère aux ordres du capitaine Jean Danjou, 35 ans, se porte au devant d’un convoi venant de Veracruz et transportant de l’argent et des armes pour les Français. Sa mission est de le protéger des attaques des Mexicains. Attaqué à Palo Verde, le 30 avril à sept heures du matin, le détachement de soixante-deux hommes se réfugie dans la cour de l’auberge de Camerone qui comporte une cour entourée de murs de trois mètres de haut. Danjou décide de fixer là les Mexicains le plus longtemps possible afin que le convoi ne soit pas attaqué. La chaleur est écrasante. Leurs mules s’étant échappées aux premiers coups de feu, les légionnaires n’ont plus ni eau ni vivres. Un officier mexicain, le colonel Milan, considérant la disproportion des forces en présence – les Mexicains alignent environ 600 cavaliers et 1400 fantassins ! – propose à Danjou de se rendre. La réponse ne se fait pas attendre. L’attaque commence à dix heures du matin.

    À midi, Danjou est tué d’une balle en pleine poitrine. À deux heures, le sous-lieutenant Vilain tombe à son tour. Les Mexicains mettent le feu à l’auberge. Les légionnaires tiennent bon. À cinq heures, le sous-lieutenant Maudet résiste encore avec douze hommes ! Une heure plus tard, l’assaut final est donné. Il ne reste que cinq hommes retranchés au fond de la cour, baïonnette au canon, et qui déchargent leur arme dès que les Mexicains investissent la cour. Maudet et deux légionnaires tombent. Il ne reste que le caporal Maine et deux autres soldats qui résistent encore. Le colonel mexicain leur demande de se rendre. Ils n’acceptent de le faire qu’à la condition de conserver leurs armes. L’officier leur répond alors : « On ne refuse rien à des hommes comme vous ! »

    Les soixante-deux hommes de Danjou ont résisté pendant onze heures aux deux mille combattants mexicains qui vont compter dans leurs rangs six cents tués ou blessés. Chaque année, le 30 avril, au Mexique, à Camerone de Tejapa, dans l’État de Veracruz, on peut voir deux détachements de militaires, l’un mexicain, l’autre français, unis, qui rendent hommage aux
    héros de Camerone.

    Cette résistance héroïque fonde l’esprit d’honneur et de sacrifice de la Légion étrangère.

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    Les deux derniers chapitres et l’épilogue du roman « Camarón« , publié aux éditions du Cherche midi en 2008 :

     

    XXVII

     

     

     

    –       Colonel Milan, nous n’avons plus de paille, plus de fumée, et ils tirent toujours !

    –       Colonel Cambas nous étions mille contre soixante-cinq ce matin à neuf heures, nous étions trois mille contre cinquante à midi, et plus de quatre mille à deux heures contre trente, contre vingt tout à l’heure ! Il est cinq heures, combien en reste-t-il ?…

    –       Douze, colonel, ils sont douze…

    –       Colonel Cambas, quittons le terre-plein d’observation, il faut en finir, allons-y, lieutenant Lainé, venez aussi… Campos, je vous confie la fin de l’affaire… Je vous demande d’éviter…

    –       C’était mon intention, colonel Milan, je vais sauver ce qui l’être…

    Devant les grands portails de l’hacienda des corps allongés, comme saisis brusquement par un désir de sieste qui n’en finit pas, d’autres figés dans des postures curieuses… De l’un on dirait qu’il compte des fourmis, à quatre pattes, le nez dans la poussière. De l’autre, couché en chien de fusil, on pense qu’il console et cajole quelque petit animal effrayé par la tuerie. Et d’un troisième enfin, on se dit qu’il voit dans l’azur pur se dessiner Notre-Dame de Guadalupe, tant sur le dos, et les bras en accueil, comme un diseur d’homélies, son œil s’est fixé dans une fascination sans fin.

    Sur la route, à l’abri des tirs, on a disposé les blessés en deux rangées, ceux qui expirent d’un côté, au bout de leur sang ou le front emporté, la mâchoire pendante, et ceux qui peuvent espérer se mettre debout dans les heures ou les jours qui viennent. Des uns aux autres, un homme va et vient, en bras de chemise et pantalon de toile fine, grise à liseré rouge, des instruments de chirurgie dans une main, de la charpie dans l’autre. Il coupe, colmate, garrotte, entaille, extrait, console et calme, ouvre des plaies, termine des phrases, ferme des yeux. La quarantaine élancée, il est arrivé à midi sur le champ de bataille, précédé par le chef des tambours, Pablo Ochoa, qui va mourir. Il conduisait le bataillon de Cordoba.

    –       Commandant Franciso… Talavera… commandant Talavera… vous direz à ma femme…

    –       Je lui dirai, Pablo, je lui dirai, ne t’inquiète pas, tout va bien aller…

    –       Je meurs, commandant, je meurs…Mon tambour…

    –       Je m’en occuperai, Pablo, je l’emporterai à ta femme, et je dirai à tes enfants que leur père est mort en héros… ne t’inquiète pas, Pablo…

    Le commandant Francisco Talavera a fait ses études de médecine à Mexico, terminant son parcours par l’école militaire de Chapultepec. Depuis deux heures, remplissant son rôle de soldat, il a lancé plusieurs charges vers les portails de l’hacienda. Maintenant c’est l’homme des corps et des âmes en détresse qui s’est mis à la tâche.

    –       Commandant Talavera…

    –       Colonel Milan ?

    –       Nous allons lancer l’attaque ultime avec le colonel Cambas…

    –       Je suis plus utile ici, colonel…

    –       Je sais, commandant, ce que je voulais vous demander, c’est… pour les blessés qu’on va tirer de l’enfer, derrière ces murs…

    –       Colonel, la souffrance n’a pas de patrie…

    –       Merci colonel… Soldats, Ecoutez-moi…

    Le commandant Talavera vient de fermer les yeux de Pablo Ochoa.

    –       Soldats ! Il faut en finir ! Ils ne sont qu’une poignée derrière ces murs, ils n’en peuvent plus ! Nous devons investir la place, pour l’honneur du Mexique, pour la gloire de l’indépendance…

    –       Colonel Milan…

    –       Commandant Lainé ?…

    –       Vous m’avez demandé de vous accompagner ici…

    –       Vous savez pourquoi, commandant Lainé…

    Sur un signe du colonel Cambas, le silence s’abat comme un linceul troué de râles. Pas un bruit dans la cour. On dirait que quelque chose se prépare. Enfin la reddition ?… La voix de Lainé s’élève alors. Il la voudrait martiale, elle demeure chantante. Sa troisième proposition aux assiégés frôle les lancinements de la complainte. Le vent l’emporte vers les bois prochains d’où, le matin, les soixante-cinq sont sortis. La cime des arbres mollement se balance. Dans les esprits passe une étrange impression de paix souveraine à portée de fusil, d’étonnante indifférence aux misérables luttes humaines.

    –       Colonel Cambas…

    –       Colonel Milan ?

    –       Allons…

    Campos s’élance, dépassé par ses hommes que galvanise la certitude d’une gloire immédiate. Derrière la porte, un caporal français debout, hébété, la tête en sang, le torse nu lacéré, les bras ballants après avoir tiré sa dernière cartouche est enlevé par les épaules, par les jambes, emporté comme un mort. Campos est là qui l’approche, le protège, et le fait emmener jusqu’à la route. Le commandant Talavera l’allonge au milieu de ses blessés.

    Par grappes, les assaillants se hissent sur les murs, déchargent leur fusil sur les toits. Des balles filent vers la campagne. Les fantassins du bataillon de Jalapa entrent dans la cour. C’est à la fois un abattoir et un cimetière, un enfer, l’incandescente image du désespoir au ras de la terre… Des fusils brisés, des corps mutilés, des uniformes en lambeaux, des poitrines, des crânes ouverts, et des chairs livides qui se décomposent, une odeur de fumée, de cadavre chaud, de tripes et de poudre…

    Soudain, sur la murette du hangar adossé au mur, se posent sept canons. On aperçoit sept têtes noircies de poussière, rougies de sang, qui émergent du monde des morts. Sept yeux qui se ferment, sept autres qui choisissent leur homme… Feu ! Les Mexicains tombent, refluent vers le portail, déchargent vers le hangar leurs armes en même temps. Deux têtes sous le hangar d’enfer s’affaissent, l’une sur la murette, l’autre sur une épaule… Deux seulement ! Mais les Mexicains l’ignorent. Faire silence, pour qu’ils croient que tout le monde est mort. Voilà l’ultime et pathétique stratégie.

    Ils sont tous morts, se disent les Mexicains. La stratégie fonctionne à merveille… Ils se ruent de nouveau dans la cour. C’est un déferlement de vestes bleues, de képis, de sombreros, de pantalons gris à liseré de toutes sortes… Dans l’ombre du hangar, cinq canons, cinq têtes fuligineuses aux yeux de fauves… Feu ! Et cinq grands corps se lèvent, spectres menaçants et terribles, ils n’ont plus de balles, ils enjambent la murette, baïonnette en avant, pour tenter de passer, pour aller où ?…

    Le tonnerre et les éclairs, la fumée blanche, la rafale de la riposte figent debout l’un des cinq, un grand dégingandé qui s’est planté en rempart, bras étendus devant celui qui semble commander encore. Dix-neuf balles le transpercent. Il s’écroule. Son chef tombe aussi, la cuisse brisée, le flanc ouvert.

    Ils ne sont plus que trois, le souffle court, la bave aux lèvres, qui s’élancent sans forces, déhanchés, dans un simulacre d’attaque, automates obstinés, noircis, les chairs à vif. Trois mots en tête. Avancer, tuer, passer, passer à tout prix…

    Un homme s’avance, glisse sous les trois baïonnettes son sabre d’officier. C’est le colonel Cambas.

    –       Rendez-vous !

    Au bout des fusils chargés placés sous leurs mentons, des sabres dont les pointes visent leur cœur, touchent leurs flancs, leur poitrine, ils osent… Ils osent par la bouche de leur sous-officier dicter leurs conditions ! A trois contre un pays !

    –       Laissez-nous nos armes ! Soignez nos blessés… Et nous nous rendons…

    Sur le visage de Campos, on peut lire distinctement la pitié, l’atterrement, et une sorte d’admiration qui va et vient comme la sentinelle des territoires intérieurs où l’honneur se sait universel. Dans sa réponse, il y a tout cela…

    –       On ne refuse rien à des hommes comme vous…

     

    XXVIII

     

    Personne ne l’a vue tomber. Elle arrivait à Camarón sur son cheval revigoré par une halte dans les mares de Palo Verde. Elle l’avait laissé paître en contrebas, dans un pré un peu caché, et visité par un bras d’eau échappé de la grande mare. Un pré secret plein d’herbe drue. Et le cheval en était revenu pimpant, l’œil joyeux, presque rigolard, comme si, scientifique expérimenté, il sentait que cette façon d’être, ou plutôt de paraître, pouvait, par contagion, dissiper le nuage tenace qui rendait sombre sa cavalière.

    Au pas. Les pensées d’Ollin se sont remises en route, sages et raisonnables. Ses trois enfants, elle s’est dit qu’une heure ou deux encore dans la poussière brûlante, et elle allait pouvoir les retrouver, les serrer contre elle, respirer leur odeur de petits fauves apprivoisés, entendre leurs mots de cristal… À Soledad, elle avait pris des habits propres pour les changer. Tonatiuh, Miztli et Citlali. Qu’ils doivent être sales ! avait-elle pensé en souriant d’abord, puis en se laissant aller au rire le plus clair,  rire de mère sans contrainte, au contour attendri.

    Mon fils, mon soleil, je t’ai nommé ainsi, Tonatiuh. Tu étais le premier et tu prenais ta place à côté de mon nom : Ollin Tonatiuh, inséparables dans la pensée des mes pères. Le mouvement et le soleil levant. Ollin Tonatiuh, moi, ta mère, et toi, ma force. Avec toi dans ma vie, tout est devenu simple, et mon devoir précis : détruire pour toi la croûte menteuse de l’empire espagnol, élever de nouveau nos temples dans tout le pays, rebâtir Tenochtitlan, et t’y voir grandir. Contempler ton armée en marche, toi, chevalier aigle ou chevalier jaguar. Tu ramènes de chacune de tes campagnes des colonnes de prisonniers à la touffe de cheveux bien plantée, à l’air soumis, des prisonniers dignes du sacrifice qui les attend, qui graviront les cent quatorze degrés du grand temple la tête fière. Jamais, à ta suite, on ne trouve de ces captifs plaintifs, apeurés et lâches, qu’il faut presque porter jusqu’à la pierre de sacrifice. Et si un jour, Tonatiuh, trop entouré de Tlaxcaltèques ou de Cholulans jaloux de ta bravoure, tu reconnais en celui qui aura saisi ta mèche ton père chéri, j’irai jusqu’au palais du souverain de Tlaxcala, de Cholula, et j’exigerai le privilège de te voir gravir à côté de ton vainqueur, les marches jusqu’à leur autel. Je veux te voir te battre une dernière fois contre quatre chevaliers au sommet de la pyramide, dans cette mise en scène qu’on appelle le gladiatorio. La règle du jeu est ainsi fixée : on te donnera une fausse épée, et tes adversaires seront puissamment armés. Tu devras te montrer bien plus que vaillant pour honorer les tiens, ton peuple, et surtout ta mère, moi, Ollin, qui sangloterai de fierté ! Et si tu vaincs ces chevaliers dans le combat le plus inégal qu’on ait pu imaginer, tu auras la vie sauve. Alors, je veux, Toniatiuh, je veux que tu égales ce roi vainqueur au jeu du gladiatorio, ce roi à qui on dit « Voilà, tu peux rentrer chez toi ! Tu as gagné le droit de retrouver les tiens ». Et sais-tu ce qu’a fait ce roi, Tonatiuh ? Il est allé tout droit devant la pierre de sacrifice, et il a dit « Chez moi, c’est ici », et devant la foule recueillie, émue aux larmes, on l’a offert à la lumière… Miztli, ma fille, Mitzli, la lune souveraine, sœur du soleil, de Tonatiuh … Citlali, ma fille, l’étoile… Ah, tant de soldats, là-bas, autour de l’hacienda… Qu’arrive-t-il à Camarón ? Mon cheval, depuis tout à l’heure, tu t’es mis au galop, tu as senti que j’avais hâte… Tu dévies du chemin, mon cheval, tu veux éviter la route, les soldats allongés… Tant de blessés ? Des morts ?… Mais où vas-tu ? Vers des claquements de fusils qui partent des toits… Arrête, mon cheval, arrête-toi… Ces claquements… Oh… Qui me frappe ? Ce coup… La chaleur, la brûlure qui enfle dans ma poitrine…

    –       C’est une balle ?…

    Personne ne l’a vue tomber. Personne ne l’a entendue s’étonner, n’a remarqué son visage devenu vide tout à coup, immense, béant, comme au bord d’un abîme. Elle a répété…

    –       Une balle ?…

    Elle a glissé tout doucement de la selle, Ollin. Elle n’a plus rien dit. Ses pieds sont sortis des éperons. Ses mains ont lâché les rênes de la vie. Son corps gracile a glissé de la selle, s’est replié en touchant la terre, puis il s’est allongé, sans volonté, aveugle, vaincu. Ses cheveux soulevés par le vent du nord ont formé comme une flamme. Tout s’est éteint. Plus rien !

    Pauvre cheval pensif, la tête baissée, les rênes pendantes, il attend… Depuis des années, il la connaît, Ollin ! Il sait que jamais elle ne dort ainsi en fin d’après-midi, sur le bord des routes ! Il faut qu’il lui soit arrivé un malheur dans le cœur… Il s’approche, pose sa grosse bouche sur ses joues. Ollin, il ne faut pas dormir sous le soleil ! Alors, il trouve une solution, le cheval expert en humains, il avance, recule, s’arrête au moment où son ombre couvre le corps d’Ollin. Avec un peu de vent du nord, elle ne va pas souffrir pour atteindre la nuit.

    De Camarón, un cheval noir surgit. Son cavalier tire violemment ses rênes, surpris, et le cheval hennit, se cabre… Là-bas… Sebastian Galerza qui arrive du Chiquihuite se retourne. Il voit les tireurs sur les murs de l’hacienda. Il comprend tout, la balle perdue… Il éperonne son cheval qui s’enlève, comme ailé. Inutile de te presser, cheval de Galerza, elle est à l’ombre que je lui donne, elle dort.

    Jamais, des yeux de Sebastian Galerza, on n’a vu couler de larmes. Ou du moins pas avant ce jeudi 30 avril 1863, à six trente heures de l’après-midi.

    –       Ollin, les enfants t’attendent… Je leur ai promis… Ollin, il faut… Il faut les habiller de propre… Je les ai laissés dans la boulangerie, je savais que tu viendrais… Ils sont tous les trois sur le seuil, ils mangent du bon pain et ne quittent pas des yeux la route où je leur ai dit de te guetter … Ollin, ne meurs pas, Ollin, ils vont…

    Des larmes, mais aussi des pleurs, des sanglots, Galerza… Mais qu’est-ce que c’est que cet avare pitoyable qui découvre sur le bord d’une route à six heures trente de l’après midi, le jeudi 30 avril 1863, à une portée de fusil, hélas, de l’hacienda de Camarón, que la richesse, ce n’est pas l’or ? Tu l’aimais donc à ce point là, et tu ne le savais pas ?

    Ce que tu ignores aussi, c’est qu’en ce moment précis, sur la route, derrière toi, une foule s’est rassemblée, et qu’elle s’avance, lente, tout en majesté. On entend des sonnailles, des conques et des tambours. Elle t’entoure, et tu ne la vois pas. Tu as beau serrer contre ta poitrine la poitrine en sang d’Ollin, elle te quitte, elle s’en va. Elle se lève, éblouie.

    Il est venu la chercher, il est là, il descend de sa litière. Ses serviteurs déroulent sous ses pieds de précieux tapis… Il s’avance et lui tend le bras : Montezuma ! Montezuma Yocoyotzin ! Et, près de lui, Cuauhtemoc, le dernier empereur de Tenochtitlan Mexico, celui qui se rendit le 13 août 1521 à Cortès qui l’assassina.

    Et puis voici Tlacaelel, le grand architecte des âmes, Ahuitzotl, Tizoc, Axayacatl, souverains conquérants… Ollin est belle dans la parure qu’ils lui ont apportée ! Elle s’en revêt, mais s’aperçoit qu’elle est faite de lumière, seulement de lumière. Alors elle exulte, Ollin, elle sait qu’elle va dès le matin accompagner la course du soleil, rire et danser dans la fête sans trêve. Et dans quatre ans, lorsqu’un colibri s’attardera dans ta maison, lorsqu’il cherchera le regard de tes enfants, Galerza, il faudra que tu leur dises que c’est l’âme d’Ollin. Elle ne vous quittera pas.

    Allons, Galerza, debout ! Jette aux ronces ton or et tes soutanes. Celle qui est partie vit maintenant en toi !

    Fin

    Épilogue

     

    Après avoir passé la nuit près de l’hacienda de Camarón, les bataillons de Veracruz, de Jamapa et de Cordoba se mirent en route pour La Joya au matin du 1er mai. Il fallait partir pour éviter une riposte lancée par les forces françaises demeurées au Chiquihuite, auxquelles allaient sûrement se joindre la contre guérilla de Dupin.

    Refusant d’abandonner à leur sort les blessés du régiment étranger, le colonel Milan et le colonel Talavera les mêlèrent aux leurs, et la lente colonne, suivie des prisonniers, atteignit La Joya dans la journée.

    Les survivants de la compagnie se consultèrent pour désigner celui qui allait rédiger le compte rendu de la bataille afin qu’il soit envoyé, sur la proposition de Cambas, au colonel du Chiquihuite. Leur choix se porta sur le caporal Evariste Berg qui, blessé à la tête, avait été fait prisonnier lors de l’assaut final près du portail sud.

    Evariste Berg était né à l’Île Bourbon, y avait passé ses baccalauréats, mais, au lieu de suivre les voies glorieuses de Polytechnique et Saint-Cyr déjà empruntées par ses frères, il avait préféré tenter l’aventure en s’embarquant pour Lorient, sans prévenir sa famille… Artilleur dans la marine, mais joueur dans les tripots, il avait dû prendre le large en s’engageant chez les zouaves avec lesquels il avait fait campagne en  Crimée, cette presqu’île russe de la Mer Noire dont les verrous Sebastopol et Malakoff sautèrent en 1855 afin de calmer les appétits russes. Puis ce fut la campagne d’Italie avec Magenta et Solferino en 1859, celle du Liban, en 1860, où il gagna les galons de sous-lieutenant. Tout cela en accumulant d’énormes dettes de jeu qu’il avait tenté d’éponger par des moyens tels qu’il fut contraint de démissionner de son régiment de zouaves.

    Pendant que le colonel Faidherbe, sur un champ de bataille au Sénégal, accrochait à la poitrine de son frère, chirurgien de la marine impériale, la Légion d’honneur, Evariste Berg  se présentait fin 1862, à Sidi-Bel-Abbès, en Algérie, pour s’engager dans le régiment étranger, avant d’embarquer pour le Mexique.

    Dans la torpeur ouatée de l’après-midi du 1er mai 1863, assis sous le figuier du colonel Milan, le caporal Evariste Berg commença son compte rendu par les noms de tous ceux dont les cadavres avaient été empilés dans les fossés près de l’hacienda… Il écrivit : capitaine Jean Danjou, sous-lieutenant Jean Vilain, sergent-major Henri Tonel, sergent Morzycki, caporal Ame Favas, légionnaires Victor Catteau, Jean Bass, Aloyse Bernardo, Gustave Bertoletto, Antoine Bogucki, Nicolas Brugisser, Georges Catenhussen, François Daglincks, Hartog de Vries, Pierre Dicken, Charles Dubois, Frédéric Friedrich, Georges Furbasz, Louis Groux, Emile Hipp, Ulrich Konrad, Félix Langmeier, Frédéric Lemmer, Louis Lernould, Joseph Rerbers, Dniel Seiler, Louis Stoller, Van der Meersche, Henry Vandesavel, Karl Wittengs… Il ajouta le nom des blessés : sous-lieutenant Clément Maudet, caporal Louis Maine, caporal Adolfo Delcaretto, légionnaires Claude Billod, Constant Dael, Jean Germeys, Hyppolite Kunasseg, Jean Kurz, Baptiste Leonhart, Charles Magnin, Edouard Merlet, Louis Rohr, Jean-Louis Timmermans, Geoffroy Wensel… Puis il commença son récit : Mon colonel, notre compagnie est morte.  Au nom de tous mes camarades…

     

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