• La Littérature

    by  • 13 septembre 2005 • Entretiens

    La littérature – août 2003
    Entretien réalisé en août 2003 à l’occasion de la création du site Internet de Jean-Joseph Julaud et de la parution de Café grec.

    Écrire un roman, était-ce pour vous un défi, un besoin ?

    Écrire un roman, c’est une entreprise exaltante qui réclame une concentration sans faille. Mais, même si la concentration est là, tout n’est pas gagné ! Il faut quelque chose de plus que je ne saurais définir qu’en revenant à la musique : on accorde sa phrase comme on accorde une corde de violon. Mais le problème, c’est qu’aucun écrivain ne possède la même note de référence. Et le plus incroyable, c’est que lui-même l’ignore, il ne saura qu’il se trouve parfaitement accordé à lui-même qu’au moment où une espèce de plénitude l’envahit, où dès le début de sa page, il sait qu’il est arrivé, qu’il est au terme du voyage. C’est cela : commencer un livre, c’est débarquer enfin en soi ! Le reste n’est que choix d’exploration, que tourisme, on embarque le lecteur pour une visite guidée. Et, s’il revient, c’est-à-dire s’il choisit de lire une nouvelle Suvre, il faut qu’il sente qu’il est dans le même pays, mais qu’on lui donne du nouveau, sans le dérouter. Écrire un roman, dans ce sens, c’est un défi : est-on capable de créer un pays qui est le pays de soi-même. Et c’est sans doute un besoin, finalement, le besoin d’aller vers soi.

    « Tu feras l’X » est-il un roman engagé ? Comment considérez-vous aujourd’hui ce roman qui s’apparente beaucoup au roman policier ?

    Tu feras l’X est parti de nombreuses constatations que j’ai pu effectuer sur le monde des classes préparatoires scientifiques qui gomment presque entièrement le vrai plaisir du savoir. Le plaisir existe sans doute, mais il s’inscrit inévitablement dans la perspective de la compétition : on est là pour la sélection des meilleurs – ou prétendus meilleurs – il ne faut pas se faire d’illusions. Certains s’en accommodent fort bien, mais d’autres en souffrent, et cette souffrance est occultée. J’ai voulu en parler en privilégiant l’atmosphère, l’aspect documentaire, en décidant aussi que le travail sur le style ne serait pas mon objectif premier. Je voulais être efficace, du moins je jugeais que la façon dont j’avançais servait de la meilleure façon mon objectif : montrer le drame sans fards, de façon directe. Ce roman a plu, mais je ne crois pas que je l’écrirais aujourd’hui de la même façon. La maison d’éditions Liv’éditions de Lionel Forlot et Yannick Auffray a fait un excellent travail, le livre a été apprécié de nombreux lecteurs, mais cela ne m’empêche pas de réfléchir sur ma création, de décider que j’évolue, que je change ceci ou cela…

    D’où est venue l’étonnante idée de « Poésiethérapie » ?
    L’avez-vous écrit comme un jeu, comme une réflexion sur la médecine douce ?

    Poésiethérapie, c’est un épisode de plus dans l’histoire d’amour que je vis avec la poésie. La poésie, je l’ai apprise, par plaisir, pour disposer n’importe où, de la beauté du monde, même les yeux fermés, celle que les poètes installent dans la rencontre de mots qui produisent de mystérieuses significations, si habilement ajustées à nos incertitudes, à toutes les nostalgies d’avant soi.
    Je me suis demandé comment reconduire chacun à la lecture de la poésie classique… Et un matin, en me levant, j’ai pensé : la poésie soigne, la poésie guérit, mais je vais quitter la métaphore pour prétendre que, vraiment, la grippe peut être soignée par un sonnet de Verlaine, que l’insomnie est combattue efficacement par Tristan Corbière, et qu’on peut même perdre du poids en lisant François Villon !
    L’idée venait de naître : parodier un livre de médecine douce, un livre pratique pour retrouver le patrimoine poétique français, Christine de Pisan, Louise Labbé, René Guy Cadou, Baudelaire, Louis Aragon, etc. L’écriture de Poésiethérapie fut un plaisir, un délice.

    Comment a-t-il été accueilli par les lecteurs et la critique ?

    Il y a quelques semaines, à l’Eté du livre à Metz, un rhumatologue s’est approché du livre, l’a feuilleté, m’a regardé avec une surprise amusée, s’est écarté pour lire davantage, et il a commencé à rire, mais à rire à gorge déployée, cette parodie de médecine l’amusait infiniment. Il a emporté Poésiethérapie, et dès le lendemain matin, il est venu me dire qu’il avait passé une soirée inoubliable, qu’ il croyait n’avoir jamais autant ri, sans compter le plaisir de relire les poèmes qu’il aimait ou découvrait. Voilà une réaction qui répétait celles que j’ai rencontrées depuis que Poésiethérapie est sorti. Ce fut toujours la connivence, la complicité, le partage de l’humour, la compréhension de la démarche gentiment provocatrice, l’approche d’un savoir littéraire trop souvent traité avec gravité, voire componction. Poésiethérapie ne me laisse que des souvenirs de partage lumineux, de rencontres passionnantes avec des lectrices ou lecteurs passionnés.

    Quelle a été votre évolution littéraire, du Sang des choses à Café grec, en passant par Mort d’un Kiosquier ?

    L’évolution, ou du moins le changement, est considérable pour ce qui concerne les thèmes que je développe. Les stratégies que j’adopte sont radicalement différentes. Pour Le Sang des choses et La Nuit étoilée, je me laissais envahir par le pouvoir fascinant de la parole, je crois que je ne maîtrisais pas à long terme ma création tout entière. Je veux dire qu’on croit posséder la maîtrise des mots, mais, la plupart du temps, ce sont eux qui nous possèdent, nous trompent à notre insu, et nous entraînent où nous n’avions pas prévu d’aller. Il faut être prudent dès qu’on décide d’entretenir avec l’écriture des rapports confidentiels, dès qu’on se livre à elle : la spirale dans laquelle on est happé n’est pas forcément ascendante ; on devient fragile, l’écriture ne se présente plus qu’en douleur ambiguë, nécessaire, qui ne libère plus. Je sentais cet enfermement, je m’amputais de la dimension provocatrice, de l’humour que j’aime pratiquer, bref, m’installant dans l’esthétique austère et grave, je m’éloignais de moi-même. Mort d’un kioquier a été l’étape intermédiaire. Café grec c’est moi aujourd’hui, moi.

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