• Contre la goutte

    by  • 28 juin 2016 • Textes à lire • 2 Comments

    Noce paysanne, Brueghel, 1568 (Vienne, Kunsthistorisches Museum)

    Noce paysanne, Brueghel, 1568 (Vienne, Kunsthistorisches Museum)

     

    Extrait de « Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie », paru aux éditions du cherche midi en 2001 (édition originale) et janvier 2012 (poche).

    « Ma mie

     

    « J’étois hier en Vendomois, et, la faim me prenoit, dans une auberge, je m’arrêtois. Et là, qu’est-ce que je vois ? Un homme qui des vers faisoit, mais surtout des verres buvoit. Son nom, je le connois parce que l’aubergiste, du « Monseigneur » lui donnoit, et ajoutoit « Ronsard ».

    Palsembleu, ma mie, qu’est-ce qu’il s’enfiloit ! Il y avoit sur la table une oie, du foie gras, du fromage aux noix, des petits pois, un gros gâteau de Savoie. Vorace il estoit ! De tout il prenoit, à peine il mâchoit !

    Dès que le serviteur, du vin lui proposoit, il respondoit « Juste un doigt ! », mais de l’autre, le cul de la bouteille il levoit ! Et le verre débordoit ! « Ah !ah !ah ! » Ronsard faisoit. Et rigolo il se croyoit, mais personne ne rigoloit, en tout cas pas moi !

    Il y avoit aussi une soubrette, gentillette et bien faite, le tétin roselet niché au bord de son corsage, comme un oiselet au meilleur de son âge.

    Eh bien, ma mie, qu’est-ce que Ronsard faisoit ? En mille je vous le donnois ! Quand près de lui elle passoit, « Mignonne ! » il l’appeloit. Et lui disoit « Regarde, là, le vers que j’escrivois ! » ; et pendant ce temps-là, sa cotte il retroussoit, sournois, et d’un doigt grivois, en tapinois, la chatouilloit !

    La fille honneste estoit et une calotte lui fichoit ! « Ah, ah, ah ! » Ronsard encore faisoit. Puis par terre il rouloit, complètement torché il estoit !

    Moi, bien sage je me tenois, de peu me nourrissois, et, si la soubrette tout près venoit, point ne la chatouillois, seulement la regardois. Cela bien innocent estoit, et sain, boutant la joie, puisque jusque dans mon carquois, la vigueur du printemps me prenoit.

    Vous le sçavez, le mal de goutte, votre aïeule disoit, ne vient que pour ce que des excès on faisoit, de trop on mangeoit, de trop on buvoit, mais jamais, elle n’affirmoit, ma mie, que ce mal nous prendroit pour ce que trop on baisoit.

    Aussi, ma mie, j’enfourche mon palefroi, et si du tétin de soubrette je ne goûtois, sa vue tant m’excitoit qu’il feroit bon que, sans rien, sous la couette on m’attendoit. J’arrive ! Ouh là là !

     

    Signé : Votre François

     

    P.S. Je suis sûr, ma mie, qu’un jour, Ronsard mettra en garde ses concitoyens et les générations à venir contre les excès de table. Je situe cela vers 1586, lorsqu’il écrira ses derniers vers. Et je pense même qu’en cinq strophes intitulées « Stances », il donnera à réfléchir à tous ceux qui, ne respectant rien des lois élémentaires de la diététique, voudront bien le lire.

    Embrassez pour moi mon père aimé, Michel de Nostre-Dame »

     

    Cette lettre découverte fortuitement dans des archives familiales, et qui se termine sur un ton étonnamment moderne, vous est livrée sans retouche aucune.

    Voici, comme prévu, le poème annoncé, où Ronsard se désole et se reproche les excès de table à l’origine de ses atroces souffrances de goutteux.

     

    Stances

     

    J’ay varié ma vie en dévidant la trame

    Que Clothon me filoit entre malade et sain :

    Maintenant la santé se logeoit dans mon sein,

    Tantost la maladie, extrême fléau de l’âme.

     

    La goutte jà vieillard me bourrela les veines,

    Les muscles et les nerfs, exécrable douleur,

    Montrant en cent façons par cent diverses peines

    Que l’homme n’est sinon le subject du malheur.

     

    L’un meurt en son printemps, l’autre attend la vieillesse,

    Le trespas est tout un, les accidents divers ;

    Le vray trésor de l’homme est la verte jeunesse,

    Le reste de nos ans ne sont que des hyvers.

     

    Pour long temps conserver telle richesse entière,

    Ne force ta nature, mais ensuy la raison,

    Fuy l’amour et le vin, des vices la matière :

    Grand loyer t’en demeure en la vieille saison.

     

    La jeunesse des Dieux aux hommes n’est donnée

    Pour gaspiller sa fleur : ainsi qu’on voit fanir

    La rose par le chauld, ainsi, mal gouvernée,

    La jeunesse s’enfuit sans jamais revenir.

     

    Pierre de Ronsard

     

     

    Notre conseil : Décryptez, si vous le pouvez, ce quatrain inédit de  Nostradamus :

    « En l’an du siècle commençant,

    Qui lit pages Cherche Midi,

    Jamais de goutte ne souffrant,

    Escrira à l’auteur : Merci. »

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    2 Responses to Contre la goutte

    1. alizée
      3 janvier 2015 at 11 h 58 min

      j’avois lu pages Cherche Midi
      Comme JJ me l’avoit dit
      Point de goutte avois souffrit
      Merci, Monseigneur, grand merci

      • jjj
        3 janvier 2015 at 14 h 24 min

        Vous écrivez, en réponse, un quatrain en humour dièse que je lis avec grand plaisir ! Merci, et belle année 2015.

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