• Charles d’Orléans, prince en exil

    by  • 9 janvier 2016 • Poème quotidien • 0 Comments

     

    Charles d'Orléans recevant l'hommage d'un vassal (XVe siècle)

    Charles d’Orléans recevant l’hommage d’un vassal (XVe siècle)

    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.

    Azincourt, aujourd’hui dans la Pas-de-Calais, 25 octobre 1415. Cinquante mille combattants français (selon un chroniqueur de l’époque, Jean Lefebvre de Saint-Rémy) se font battre à plate couture par… dix mille Anglais ! A dix-sept heures, une contre-attaque française le menaçant, le roi d’Angleterre, Henri V, décide de faire égorger tous les Français qu’il a faits prisonniers, et d’en brûler quelques dizaines dans des granges pleines de foin. Tous les Français sauf quelques-uns qui pourraient rapporter une belle rançon.

    Charles vaincu, orphelin, veuf…

    Parmi les rares épargnés d’Azincourt, voici, le cœur crevé de la douleur d’avoir tout perdu, Charles d’Orléans (1394 – 1465), fils de Louis d’Orléans, frère de Charles VI, assassiné sur l’ordre de Jean sans Peur. Au lendemain de cet assassinat, Valentine Visconti, épouse de louis,  mère de Charles qui n’était alors qu’un adolescent rêveur de seize ans, lui avait fait jurer de venger son père. Valentine était morte de chagrin l’année suivante. Orphelin, Charles devenait veuf en 1409 : Isabelle de Valois, sa cousine germaine, épousée trois ans auparavant –déjà veuve de Richard II d’Angleterre – mourait à vingt ans en mettant leur fille au monde.

    Vingt-cinq ans de captivité

    Prisonnier d’Henri V, Charles est emmené en Angleterre. Celle qu’il a épousée en 1410 alors qu’elle n’avait que onze ans, Bonne d’Armagnac, meurt deux mois après la défaite d’Azincourt, à seize ans. Est-ce assez de malheurs sur les épaules et dans le cœur de Charles d’Orléans ? Non, puisque, personne ne pouvant payer sa rançon, sa captivité va durer vingt-cinq ans ! De vingt-quatre à quarante-neuf ans, loin des querelles de cour et de partis, il ne rêve qu’à ce « doux pays de France » qu’il aperçoit parfois des côtes anglaises, par beau temps.

     

    Marie, 14 ans, se marie à Charles

    Ballades, rondeaux, chansons et complaintes, aux destinataires difficiles à identifier (Alice Chaucer, l’épouse de son geôlier ? Bonne, la disparue ? ou bien plus simplement, la France…) se succèdent et composent une œuvre qui va se prolonger au château de Blois où l’exilé s’installe à son retour, en 1440. La dot de sa nouvelle épouse, Marie de Clèves, quatorze ans, a payé en partie sa rançon. Marie est la petite-fille de Jean sans Peur… Le 27 juin 1462, naît Louis,  le deuxième enfant du couple – Charles a soixante-huit ans, Marie, trente-six. C’est le futur Louis XII qui régnera sur la France de 1498 à 1515.

    Un peu de technique

     

    Le rondeau : Le temps a laissé son manteau…

    Apparu alors que la poésie se sépare du chant au XIVe siècle, le rondeau est une forme poétique caractérisée par sa brièveté qui n’atteint pas, cependant, l’économie du haïku, poème japonais de dix-sept syllabes… Le rondeau, composé de trois strophes (5 vers, 3 vers, 5 vers, ou 4, 2, 4 vers) commence par un vers qui devient refrain à la fin de la 2e strophe et à la fin du poème. Charles d’Orléans a porté ce genre à sa perfection, en composant plus de quatre cents dans son château de Blois après son retour de captivité. Voici celui que tout écolier peu ou prou a appris, ou tout au moins connu :

    Le Temps a laissé son manteau

    Le temps a laissé son manteau

    De vent, de froidure et de pluie

    Et s’est vêtu de broderie,

    De soleil luisant, clair et beau.

     

    Il n’y a bête ni oiseau,

    Qu’en son jargon ne chante ou crie :

    Le temps a laissé son manteau!

    De vent, de froidure et de pluie.

     

    Rivière, fontaine et ruisseau

    Portent en livrée jolie,

    Gouttes d’argent, d’orfèvrerie,

    Chacun s’habille de nouveau

    Le temps a laissé son manteau.

     

    Charles d’Orléans – Rondeaux

     

    La poésie de Charles d’Orléans

    Charles, qui s’est défini ainsi : « l’homme égaré qui ne sait où il va », meurt à soixante et onze ans, le 5 janvier 1465. Marie lui survit vingt-deux ans. Douceur et douleur se mêlent dans les vers de Charles d’Orléans comme peut se marier aux rayons du soleil la pluie chagrine. Et cela transforme sa mélancolie en tristesse raffinée, son désespoir en élégante résignation.

    En la forest d’Ennuyeuse Tristesse

    En la forest d’Ennuyeuse Tristesse,

    Un jour m’avint qu’a par moy cheminoye,

    Si rencontray l’Amoureuse Deesse

    Qui m’appella, demandant ou j’aloye.

    Je respondy que, par Fortune, estoye

    Mis en exil en ce bois, long temps a,

    Et qu’a bon droit appeller me povoye

    L’omme esgaré qui ne scet ou il va.

     

    En sousriant, par sa tresgrant humblesse,

    Me respondy :  » Amy, se je savoye

    Pourquoy tu es mis en ceste destresse,

    A mon povair voulentiers t’ayderoye ;

    Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye

    De tout plaisir, ne sçay qui l’en osta ;

    Or me desplaist qu’a present je te voye

    L’omme esgaré qui ne scet ou il va.

     

    – Helas ! dis je, souverainne Princesse,

    Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ?

    Cest par la Mort qui fait a tous rudesse,

    Qui m’a tollu celle que tant amoye,

    En qui estoit tout l’espoir que j’avoye,

    Qui me guidoit, si bien m’acompaigna

    En son vivant, que point ne me trouvoye

    L’omme esgaré qui ne scet ou il va.  »

     

    ENVOI

     

    Aveugle suy, ne sçay ou aler doye ;

    De mon baston, affin que ne fervoye,

    Je vois tastant mon chemin ça et la ;

    C’est grant pitié qu’il couvient que je soye

    L’omme esgaré qui ne scet ou il va.

     

    Charles d’Orléans – Rondeaux

     

    Plaisir de lire

     

    En la forêt d’ennuyeuse tristesse

    En la forêt d’ennuyeuse tristesse,

    Un jour il m’advint alors que seul cheminant,

    Je rencontrai l’amoureuse déesse.

    Qui m’appela demandant où j’allais.

    Je répondis que par hasard j’étais

    En ce bois depuis longtemps exilé

    Et qu’à bon droit on pouvait m’appeler

    L’homme égaré qui ne sait où il va.

     

    En souriant, par grande gentillesse,

    Elle me dit : « Ami, si je savais

    Pourquoi tu es mis en cette détresse,

    Par mon pouvoir volontiers je t’aiderais

    Car jadis je mis ton cœur sur la voie

    De tout plaisir, j’ignore qui l’en ôta.

    Il me déplaît qu’à présent je te voie

    L’homme égaré qui ne sait où il va.

     

    « Hélas ! », dis-je « souveraine princesse,

    Vous connaissez ma vie, pourquoi vous la conterais-je ?

    C’est par la mort qui à tous fait rudesse,

    Qui m’a volé celle que j’aimais,

    En qui était tout l’espoir que j’avais,

    Qui me guidait,  si bien m’accompagna

    De son vivant ; que point ne me trouvais

    L’homme égaré qui ne sait où il va. »

     

    ENVOI

    Aveugle suis, je ne sais où je dois aller :

    De mon bâton, pour point que je ne m’égare,

    Je vais tâtant mon chemin çà et là ;

    C’est grande pitié qu’il convient que je sois

    L’homme égaré qui ne sait pas où il va…

     

    Charles d’Orléans – Rondeaux

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