• Le coeur Cros

    by  • 25 septembre 2014 • Poème quotidien • 0 Comments

    Charles Cros, 1842 - 1888

    Charles Cros, 1842 – 1888

    « Je m’étonne, valant bien les rois, les évêques, /Les colonels et les receveurs généraux /De n’avoir pas de l’eau, du soleil, des pastèques » Il en a gros sur le cœur, Cros, de n’être point reconnu de son vivant, et boudé par son temps. En 1877, Charles Cros né à Fabrezan dans l’Aude en  1842, présente à l’académie des sciences le phonographe qu’il vient d’inventer. Le pli renfermant sa communication n’est même pas ouvert ! Huit mois plus tard, Edison, l’Américain présente la même invention, et recueille la gloire ! Cros la malchance ! Il imagine aussi un télégraphe automatique, le principe de la photographie couleur… Un inventeur de génie, Charles Cros ! En même temps, il écrit, il crée, il joue avec les mots, et ces jeux l’amusent, nous amusent encore aujourd’hui, Cros la malice qui jubile avec ses sonnets drolatiques, sa légèreté d’amant, ses désinvoltures, sa culture – il maîtrise le latin, le grec, l’hébreu, l’italien l’allemand, et le… sanskrit !

    Gros plan sur une grande plume

     

    Verlaine juge Cros

    Verlaine juge ainsi Charles Cros et son recueil « Le Coffret de Santal » paru en 1873 :

    « Génie, le mot ne semblera pas trop fort à ceux assez nombreux qui ont lu ses pages impressionnantes à tant de titres.(…) De la taille des plus hauts écrivains de premier ordre, il a parfois sur eux ce quasi avantage et cette presque infériorité de se voir compris, mal, à la vérité, dans la plupart des cas, et c’est heureux et honorable.(…) Lisez “Le Hareng saur”, angélique enfantillage, justement célèbre. (…) Charles Cros demeure poète très idéaliste, très chaste, très naïf, même dans ses fantaisies apparemment les plus terre-à-terre.(…) Vous y trouverez sertissant des sentiments tour à tour frais à l’extrême et raffinés presque trop , des bijoux tour à tour délicats, barbares, bizarres, riches et simples comme un cœur d’enfant et qui sont des vers, des vers ni classiques, ni romantiques, ni décadents »

     

    Le club des Zutistes

    Cros participe à la fondation du club des Zutistes en 1871. On s’y réunit au 3e étage d’un immeuble à l’angle de la Rue Racine et du Boulevard Saint-Michel. On s’y déboutonne et débraille avec jubilation, on y singe les fadaises de Parnassiens en général, de François Coppée en particulier, on y cultive l’art de transformer en cochonnerie des poèmes lyriques et romantiques ; et les plumes qui signent ces fantaisies souvent plus navrantes que drôles dans l’Album zutique sont guidées dans leurs délires par les fils allumés de la fée verte : Verlaine, Rimbaud, et Cros… Ces trois-là plongent leur dérision dans tous les abreuvoirs de l’excès. Cros y dissout lentement son génie.

     

    Pas de fortune au Chat Noir

    En 1874, Cros publie un nouveau recueil, illustré par Edouard Manet : Le Fleuve, sans grand succès. Avec un groupe de joyeux lurons dont le caricaturiste André Gil, il participe à la fondation du cabaret Le Chat noir à Montmartre, en 1881. Ce cabaret rassemble une grande partie des membres du club des Hydropathes (ceux que l’eau rend malades…) siégeant au Quartier Latin – club fermé en 1880 pour cause d’esclandres et  tapages divers. On y rencontrait Laforgue, Richepin, Coppée, Bloy, Rollinat…. En1888, Cros meurt dans la misère. Ses vers n’ont pas vieilli d’une syllabe, sa poésie laisse aux lèvres qui l’interprètent toutes les déclinaisons, tout l’éventail du sourire, amusé ou complice, attristé ou compassionnel, et malin, même, coquin, et plus encore… Dansez avec lui, dans ces Triolets fantaisistes, poème extrait du Coffret de Santal, chanté en 1962 par Brigitte Bardot dans le film de Louis Malle : Vie privée.

    Plaisir de lire

     

    Triolets fantaisistes

     

    Sidonie a plus d’un amant,

    C’est une chose bien connue

    Qu’elle avoue, elle, fièrement.

    Sidonie a plus d’un amant

    Parce que, pour elle, être nue

    Est son plus charmant vêtement.

    C’est une chose bien connue,

    Sidonie a plus d’un amant.

     

    Elle en prend à ses cheveux blonds

    Comme, à sa toile, l’araignée

    Prend les mouches et les frelons.

    Elle en prend à ses cheveux blonds.

    Vers sa prunelle ensoleillée,

    Ils volent, pauvres papillons,

    Comme, à sa toile l’araignée,

    Elle en prend à ses cheveux blonds.

     

    Elle en attrape avec les dents

    Quand le rire entrouvre sa bouche

    Et dévore les imprudents.

    Elle en attrape avec les dents.

    Sa bouche, quand elle se couche,

    Reste rose et ses dents dedans.

    Quand le rire entrouvre sa bouche

    Elle en attrape avec les dents.

     

    Elle les mène par le nez

    Comme fait, dit-on, le crotale

    Des oiseaux qu’elle a fascinés.

    Elle les mène par le nez.

    Quand dans une moue elle étale

    Sa langue à leurs yeux étonnés,

    Comme fait, dit-on, le crotale

    Elle les mène par le nez

     

    Sidonie a plus d’un amant,

    Qu’on le lui reproche ou l’en loue

    Elle s’en moque également.

    Sidonie a plus d’un amant.

    Aussi, jusqu’à ce qu’on la cloue

    Au sapin de l’enterrement

    Qu’on le lui reproche ou l’en loue,

    Sidonie aura plus d’un amant.

     

    Charles Cros – Le Coffret de santal, 1873

     

    Le Collier de griffes

    En 1908, le fils de Charles Cros, Guy, publie un recueil posthume des œuvres de son père sous le titre « Collier de griffes ». Guy est le dédicataire de l’un des poèmes les plus connus  du Coffret de Santal : Le hareng saur.

     

    Plaisir de lire

     

    Le hareng saur

     

    A Guy.

     

    Il était un grand mur blanc – nu, nu, nu,

    Contre le mur une échelle – haute, haute, haute,

    Et, par terre, un hareng saur – sec, sec, sec.

     

    Il vient, tenant dans ses mains – sales, sales, sales,

    Un marteau lourd, un grand clou – pointu, pointu, pointu,

    Un peloton de ficelle – gros, gros, gros.

     

    Alors il monte à l’échelle – haute, haute, haute,

    Et plante le clou pointu – toc, toc, toc,

    Tout en haut du grand mur blanc – nu, nu, nu.

     

    Il laisse aller le marteau – qui tombe, qui tombe, qui tombe,

    Attache au clou la ficelle – longue, longue, longue,

    Et, au bout, le hareng saur – sec, sec, sec.

     

    Il redescend de l’échelle – haute, haute, haute,

    L’emporte avec le marteau – lourd, lourd, lourd,

    Et puis, il s’en va ailleurs – loin, loin, loin.

     

    Et, depuis, le hareng saur – sec, sec, sec,

    Au bout de cette ficelle – longue, longue, longue,

    Très lentement se balance – toujours, toujours, toujours.

     

    J’ai composé cette histoire – simple, simple, simple,

    Pour mettre en fureur les gens – graves, graves, graves,

    Et amuser les enfants – petits, petits, petits.

     

    Charles Cros – Le Coffret de santal, 1873

    About

    Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *