• « La flamme », 22 février 1983

    by  • 25 janvier 2014 • Textes à lire • 2 Comments

    feu

    LA FLAMME

    Partout présente, mais invisible dans ses transparentes retraites, la flamme élit souvent refuge à la croisée des branches tremblantes et frileuses. Elle s’emploie, laborieuse d’abord, à laver les racines des ténèbres épaisses qui s’écartent, dociles, vers des angles où brillent des pans de cerisiers rouges, moulés par de longs gestes verticaux et fatigués. Vigilante, la flamme aussi parcourt les nœuds graciles et compose, réconciliée, avec l’ombre mouvante.

    Ainsi, maîtresse des regards surgis des meubles lisses et du battant fermé sur les bêtes calmées par d’amples affenages, la flamme se pare et monte à hauteur de pensée. Le silence d’abord l’entoure, car elle est toujours bienvenue, puis, avant que l’attente se prolonge, elle s’éveille à la respiration avec la pâleur convalescente des malades éternels. Puis elle s’ourle, féline, contre d’invisibles cloisons obliques, longues paumes ovales que dessine la ferveur des prières inutiles. Transparente comme l’eau captive, elle désaltère des poignées d’âmes en route pour l’éternité et qui font halte, sans se cacher, pour une farandole où pétillent des regards brasillants.

    Elle s’élève, menaçante, et déploie d’amples langues aiguës qui gagnent la longue colonne obscure, tortueuse, vers le cercle du ciel, identique au fond de ces puits moussus où des visages égarés ont cru rejoindre les nuages.

    Son assise devient large, elle s’installe et superpose tout à la fois l’image d’un champ de blé mûr, celle du soleil qui chancelle sous l’effort des faux affûtées par les pierres douces, et celle d’une chevelure qui déploie ses contours et retient ses murmures.

    Enfin, elle déborde toujours ses maigres périmètres, s’embrase dans les regards qui l’alimentent et puis s’écarte un peu, pour laisser défiler d’imprécises images dont le velours des contours prépare le sommeil.

    Il arrive parfois que la flamme s’éteigne, lasse d’ombre et de silence. Elle se fait humble alors et joue indifférente avec l’incandescent damier qu’elle s’est préparé sur quelque écorce tendre. Pendant que les yeux la suivent, plus reposés que questionneurs, elle se fait lame bleue, découpe son propre fil et s’effondre muette, se répand, lucioles multipliées, lampyres caniculaires.

    C’est le moment choisi par les bruits familiers pour laisser à la flamme les secrets de son départ. Car elle renaît aussitôt ailleurs, très loin parfois, sous des yeux immobiles et fascinés, voyageuse insolite, qui danse ses valses bleues sur les quais de la nuit.

     

     

    Jean-Joseph Julaud – 22 février 1983.

     

    Texte paru dans « Le Sang des choses » publié en juin 1983 aux éditions Corps 9

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    2 Responses to « La flamme », 22 février 1983

    1. Noël Brigitte
      25 janvier 2014 at 12 h 15 min

      Le sang des choses…
      J ai même un exemplaire avec une superbe dédicace !

      • jjj
        25 janvier 2014 at 12 h 23 min

        …voyageuse insolite, qui danse ses valses bleues sur les quais de la nuit.

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