• XIVe siècle : Eustache Deschamps en ballade

    by  • 3 décembre 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    Franz Dvorak, peintre autrichien d'origine hongroise (1862 - 1927) : Femme aux pivoines

    Franz Dvorak, peintre autrichien d’origine hongroise (1862 – 1927) : Femme aux pivoines

    Extrait de La Poésie française pour les Nuls, éditions First, 2010.

    Nous sommes le 19 mai 1364, dans la cathédrale de Reims. Nous assistons au sacre de roi Charles V, qui succède à son père (allons, on cherche, il n’est pas question de vous le livre immédiatement… alors, ça vient ? eh bien oui, son père…) Jean II le Bon. La messe chantée à quatre voix vous transporte dans l’éther d’une spiritualité dopée à la quadriphonie. C’est bien normal, c’est du Machaut, du Guillaume de Machaut que vous apercevez là-bas, près des stalles de bois où il va s’asseoir, à côté de qui ? De son élève, Eustache Deschamps 1346 – 1406), qui est aussi son neveu, dix-huit ans, et qui va devenir écuyer, huissier d’armes et chevaucheur à la cour du nouveau roi.

    Rien ne se peut comparer à Paris

    Deschamps chevaucheur du roi… Cette fonction va lui faire parcourir toute l’Europe, et, comme il ne cesse d’écrire des vers sur tout ce qu’il voit, aime ou déteste, on apprend de sa plume, par exemple, qu’en Bohème, les lits sont sales, la bière détestable et que la vermine grouille partout. « Rien ne se peut comparer à Paris » écrit-il dans sa Ballade sur Paris « C’est la cité couronnée au-dessus de toutes / Fontaine et puits de sens et de savoir, Située sur le fleuve de la Seine. / Elle a des vignes, des terres, des bois et des prairies. »

    Gouverneur de Charles VI

    En 1373, il se marie. Trois enfants naissent avant qu’il se retrouve veuf, maître des eaux et forêts de Champagne et de Brie, comme, plus tard, La Fontaine… Gouverneur du jeune Charles VI, il effectue mille et cent missions qui ne l’intéressent guère, ce qu’il aime, c’est écrire. Ecrire de la poésie, sans l’accommoder de musique. Car, dit-il, les unique naturelle des mots suffit au vers. La musique qu’on ajoute au texte est superflue, artificielle. Ainsi, le divorce entre musique et poésie est-il consommé en cette fin du XIVe siècle. On dit les textes dans les chanter, la poésie n’est plus proférée, elle est lue, presque en silence, elle se rapproche du cœur et de ses sources.

    Disgrâce et solitude

    Ecrire ! Eustache Deschamps y passe tout le temps que lui laisse ses fonctions. On estime à quatre-vingt-deux mille vers l’ensemble de son œuvre composée de mille quatre cents poèmes, des lais, des rondeaux et des ballades dont il est l’un des promoteurs les plus zélés, sinon le créateur. Avant que Charles VI ne sombre dans la folie, il quitte la cour dont il n’approuve pas les mœurs à son goût trop festives, ni les dépenses excessives, pour se mettre au service de Louis d’Orléans, frère du roi. Cette décision lui vaut une disgrâce  qui le plonge dans la solitude et dans un état de nécessité tel que sa santé se dégradant, il meurt en 1407, peu de temps avant que Louis d’Orléans ne soit lâchement assassiné sur l’ordre de Jean sans Peur.

    Un peu de technique

    Partons en ballade

    La ballade mise au point par Eustache Deschamps se compose de trois strophes de dix octosyllabes suivies d’une strophe de cinq octosyllabes appelée « envoi » car elle était destinée au prince qui l’avait commandée ou en l’hommage duquel elle était écrite. Le dernier vers de chaque huitain  et du quintil (qu’est le quintil ? Vous l’apprîtes dans les pages qui précèdent, est-on obligé de vous rappeler que c’est une strophe de cinq vers ? Non ? Tant mieux…) Le schéma rimique du huitain est le suivant : ABABBCCDCD ; et celui du quintil : AADAAD. Voici, d’Eustache Deschamps, l’une des mille ballades. Son écriture quitte peu à peu l’ancien français pour s’approcher du moyen français, davantage à notre portée, nous, lecteurs peu experts en langue des siècles trop lointains. Donc, puisque cette lecture est facilitée, il n’est point besoin de vous proposer comme cela fut fait jusqu’ici, une traduction. Non ? Allons, un petit effort, et de cette rencontre amoureuse, vous allez tout comprendre, et ce que vous ne comprenez pas, imaginez-le…

     

    Ballade amoureuse

     

    Le droit jour d’une Pentecôte,

    En ce gracieux mois de Mai,

    Celle où j’ai m’espérance toute

    En un joli verger trouvai

    Cueillant roses, puis lui priai :

    Baisez-moi. Si dit : Volontiers.

    Aise fus ; adonc la baisai

    Par amours, entre les rosiers.

     

    Adonc n’eut ni paour ni doute,

    Mais de s’amour me confortai ;

    Espoir fut dès lors de ma route,

    Ains meilleur jardin ne trouvai.

    De là me vient le bien que j’ai,

    L’octroi et le doux désirier

    Que j’ouïs, comme je l’accolai,

    Par amours, entre les rosiers.

     

    Ce doux baiser ôte et rebute

    Plus de griefs que dire ne sais

    De moi ; adoucie est trèstoute

    Ma douleur ; en joie vivrais.

    Le jour et l’heure bénirais

    Dont me vint le très-doux baiser,

    Quand ma dame lors encontrais

    Par amours, entre les rosiers.

     

    Prince, ma dame à point trouvai

    Ce jour, et bien m’étais métier ;

    De bonne heure la saluai,

    Par amours, entre les rosiers.

     

    Eustache Deschamps – Ballades, 1362

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