• Antoine Houdar de la Motte : « L’ennui naquit un jour… »

    by  • 24 novembre 2013 • Poème quotidien • 2 Comments

    Antoine Houdar de la Motte (1672 - 1731)

    Antoine Houdar de la Motte (1672 – 1731)

    Extrait de « La Poésie française pour les Nuls », éditions First, 2010.

    Houdar incarne la lassitude des nouvelles générations de son temps qui veulent se libérer du carcan classique. Aux commandements de la métrique, des rimes et des rythmes, il rêve de substituer la liberté de la prose où il pressent qu’un jour la poésie saura se déployer. En attendant, il écrit des vers…

    Plume au clair dans la mêlée

    On ne s’enrichit pas que dans la cordonnerie dans les années 1700. On a vu Rousseau père de Jean-Baptiste grande fortune à la petit semelle, voici Houdar de La Motte, magicien du couvre-chef, qui tire de ses chapeaux une confortable fortune. Antoine, son fils, fait de bonnes études, se spécialise dans le droit, mais sent très tôt que sa loi, c’est la plume. Il se lance à vingt ans dans l’écriture d’une comédie qui va, il en est sûr, lui apporter la renommée. Son vœu se réalise : sa pièce Les Originaux est représentée au Théâtre-Italien à Paris. Les spectateurs en ressortent hilares, déclarant que voilà bien la pièce la plus ridicule et ratée jamais écrite ! La réputation d’Antoine Houdar de La Motte est faite… Ô monde cruel ! La solution ? La Trappe, son silence, et la compagnie des moines cisterciens de la stricte observance : la pauvreté, la chasteté, l’obéissance… Finalement, se dit Houdar, après deux mois de ce régime, la cruauté du monde peut devenir supportable. Et il retourne, plume au clair, dans la mêlée, bien décidé à en découdre avec des adversaires qui l’ont accusé, entre autres de trop de modernité.

    La rime n’est point la poésie

    Moderne Houdar, audacieux. Excessif ? Peut-être… Il se déclare avec force contre l’exercice poétique, il affirme que savoir versifier est un « mérite accessoire », que chercher à faire rimer des vers est extravagant, qu’il est inutile de s’imposer ce joug, que ce travail est « frivole et pénible », et que « la rime et la mesure ne sont point la poésie » ! Il juge stupide la règle des trois unités en poésie dramatique. Voilà bien du muscle pour un cheval de bataille qui ne s’interdit pas la parade puisque notre Houdar s’autorise l’écriture de toutes les formes poétiques encore en vogue , mais en déclin : l’églogue (rappelez-vous, c’est un poème pastoral qui met en scène bergères et bergers), l’ode, l’épopée, et même la fable dont voici la plus célèbre, à cause de son vers ultime qui traite de l’ennui, et dont vous allez vous dire : Ah, ce vers-là, c’est donc de lui ? Oui, puisqu’il l’écrit : L’ennui naquit un jour…, vous connaissez la suite ; alors lisez ce qui la précède dans « Les Amis trop d’accord » sur un canevas de vers et rimes ressemblant à ceux de La Fontaine :

    Plaisir de lire

     

    Les Amis trop d’accord (fable XV)

    Il était quatre amis qu’assortit la fortune ;

    Gens de goût et d’esprit divers.

    L’un était pour la blonde, et l’autre pour la brune ;

    Un autre aimait la prose, et celui-là les vers.

    L’un prenait-il l’endroit ? L’autre prenait l’envers.

    Comme toujours quelque dispute

    Assaisonnait leur entretien,

    Un jour on s’échauffa si bien,

    Que l’entretien devint presque une lutte.

    Les poumons l’emportaient ; raison n’y faisait rien.

    Messieurs, dit l’un d’eux, quand on s’aime,

    Qu’il serait doux d’avoir même goût, mêmes yeux !

    Si nous sentions, si nous pensions de même,

    Nous nous aimons beaucoup, nous nous aimerions mieux.

    Chacun étourdiment fut d’avis du problême,

    Et l’on se proposa d’aller prier les dieux

    De faire en eux ce changement extrême.

    Ils vont au temple d’Apollon

    Présenter leur humble requête ;

    Et le dieu sur le champ, dit-on,

    Des quatre ne fit qu’une tête :

    C’est-à-dire, qu’il leur donna

    Sentiments tout pareils et pareilles pensées ;

    L’un comme l’autre raisonna.

    Bon, dirent-ils, voilà les disputes chassées

    Oui, mais aussi voilà tout charme évanoui ;

    Plus d’entretien qui les amuse.

    Si quelqu’un parle, ils répondent tous, oui.

    C’est désormais entr’eux le seul mot dont on use.

    L’ennui vint : l’amitié s’en sentit altérer.

    Pour être trop d’accord nos gens se désunissent.

    Ils cherchent enfin, n’y pouvant plus durer,

    Des amis qui les contredissent.

    C’est un grand agrément que la diversité.

    Nous sommes bien comme nous sommes.

    Donnez le même esprit aux hommes ;

    Vous ôtez tout le sel de la société.

    L’ennui naquit un jour de l’uniformité.

    Antoine Houdar de la Motte – Fables nouvelles, 1719

     

    Le saviez-vous ?

    Tout l’art de Houdar

    Passionné de musique, Houdar compose à vingt et un ans  un opéra qui remporte un succès considérable : L’Europe galante. On lui doit aussi de nombreuses innovations dans le domaine de l’opéra où il excelle : la pastorale, la comédie-ballet et le ballet.

     

    L’Iliade ? Beaucoup trop long…

    Au vrai, à travers la critique de la manie de la rime, Houdar stigmatise les Anciens qui se contentent des sources grecques et latines, et de leur imitation. L’imitation, pour Houdar, c’est l’esclavage, l’aliénation. Il faut s’en affranchir. Et même aller plus loin : ne sent-on pas, dans l’Iliade d’Homère, ce récit en vers de la guerre de Troie, des longueurs, n’y lit-on pas des passages interminables, sans intérêt, qui pourraient être supprimés et donneraient à l’œuvre entière une densité toute neuve, pleine d’un suspense co-signé Houdar-Homère ?… Holà, Houdar, n’y allez-vous pas un peu fort ? Houdar fait la sourde oreille : voici bientôt réécrite l’Iliade, en vers, et réduite de moitié, au regard de la traduction qu’en avait faite madame Anne Dacier, philologue de l’époque.

    Vous allez être bien fâché, Monsieur…

    Madame Dacier décide de croiser le fer avec Houdar dans un pamphlet, le Traité de la corruption du goût. La querelle entre les Anciens et les Modernes se rallume. Jean-Baptiste Rousseau s’y joint et s’y montre d’autant plus odieux qu’il n’admet pas son échec à l’Académie française qui lui a préféré… Houdar ! C’est Fénelon (1651 – 1715) qui met tout le monde d’accord en disant qu’on doit louer les efforts des Modernes, à condition que l’étude des Anciens n’en soit pas menacée. Ainsi, tout le monde est content. Peu de temps après son élection à l’académie Houdar devient aveugle. Ce poète qu’on juge mineur en vers, majeur en prose, ne se départ pas de ses qualités de mesure et de dignité jusqu’à la fin de sa vie en 1731. Ainsi, il monte un jour sur le pied d’un jeune homme qui, vexé, le gifle, « Vous allez être bien fâché, Monsieur, je suis aveugle ! »

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    2 Responses to Antoine Houdar de la Motte : « L’ennui naquit un jour… »

    1. DORBANE
      12 mai 2016 at 12 h 36 min

      Pure merveille d’une époque où les mots étaient d’une grande subtilité et d’une intelligence froide .

      • jjj
        12 mai 2016 at 14 h 13 min

        Votre commentaire est fort juste ! Merci.

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