• Embarquons avec le vicomte de Chateaubriand, dernière partie

    by  • 6 octobre 2013 • Extraits • 2 Comments

    La tombe de Chateaubriand sur le rocher du Grand Bé, île inhabitée de Saint-Malo, à l'embouchure de la Rance

    La tombe de Chateaubriand sur le rocher du Grand Bé, île inhabitée de Saint-Malo, à l’embouchure de la Rance

     

    Le royaliste à l’oeuvre

    Selon son propre terme, le vicomte François-René de Chateaubriand devient un laquais ! Étonnant avatar dont vous allez découvrir la cause, au fil de la suite de ses aventures…

    La triste vengeance

    François-René rentre dans le rang. Sur la proposition de Napoléon, il est élu à l’Académie française, à une voix de majorité – dans les Mémoires, cette voix devient une majorité écrasante… Pourtant, il ne peut siéger dans la noble assemblée, ayant refusé de revoir son discours de réception qui contient quelques attaques contre la révolution – il ne siégera sous la coupole qu’à la Restauration… La Restauration que voici : le 30 mars 1814. François-René profite du départ de Napoléon pour publier un maladroit pamphlet, outrancier et vengeur : De Buonaparte et des Bourbons. Louis XVIII, le frère de Louis XVI – un voltairien convaincu – apprécie-t-il cette publication répandue à des milliers d’exemplaires. Il affirme que ce livre vaudrait à son auteur une armée… qu’il ne lui donne pas, se contentant de le nommer ambassadeur. En Suède !

    Une anecdote

    La petite histoire…

    L’un des grands projets de Chateaubriand est d’écrire une histoire de France. Il veut apporter à ceux qui la liront une vision exacte et documentée des siècles passés. Il veut aussi que l’ensemble soit porté par une  écriture aussi puissante que le souffle épique dont elle témoigne. Il imagine de vastes fresques où son lyrisme ferait des miracles… Hélas, en vingt ans, il n’écrit que vingt pages définitives – un peu plus, peut-être…. À ranger dans la petite histoire…

    Congédié comme un laquais !

    Le bruit des bottes de l’Ogre corse se fait entendre au printemps 1815. François-René fuit avec Louis XVIII à Gand, en Belgique. Là-bas, le roi le nomme ministre de l’Intérieur. Retour en France après Waterloo. Les honneurs pleuvent : il est ministre d’état, pair de France, ambassadeur à Berlin, à Londres, à Rome, ministre des affaires étrangères après avoir fait décider la guerre contre les républicains espagnols, en 1823. Il se vante d’avoir réussi en quelques mois ce que Napoléon n’avait pas gagné en cinq ans. En réalité, c’est le duc d’Angoulême qui conduit l’expédition, remportant la bataille du Trocadéro – la place qui commande l’accès à la baie de Cadix. Fort de ce succès, Chateaubriand tente de renverser le ministre Villèle afin de prendre sa place ! Villèle le congédie comme un laquais – termes du congédié qui se venge en écrivant des articles qui conduisent à la chute du « congédiant » Villèle !

    Les Mémoires d’outre-tombe

    Le dernier acte, le plus important dans la vie de Chateaubriand, va bientôt commencer, celui où il donne la parole, dans ses Mémoires d’outre-tombe, au personnage qu’il préfère : lui-même !

    Ruiné !

    En 1830, Chateaubriand refuse la monarchie de Juillet. Il se consacre à l’écriture. Dans quel état ses finances sont-elles ? Catastrophiques, comme toujours ! En 1818, complètement ruiné, parce que privé de traitement à cause de disgrâces successives, il a dû vendre la Vallée aux Loups. Par la suite, ses fonctions ne lui assurent pas le train de vie qu’il aime mener, il dépense beaucoup plus qu’il ne gagne. Aussi, en 1830, il est presque acculé à la misère ! Heureusement, Madame Récamier va le secourir, l’entourer d’une tendre affection qui se substitue aux feux de l’amour qui les avait consumés entre 1818 et 1820. Elle organise chez elle, chaque après-midi, une rencontre entre François-René qui a dépassé la soixantaine et ses admirateurs, triés sur le volet.

    Riche !

    Chateaubriand poursuit une œuvre dont il a conçu le projet à Rome en 1803 : écrire ses mémoires. Leur rédaction commence en 1809. Elle va s’accélérer à partir de 1832. Leur titre change : Mémoires de ma vie devient Mémoires d’outre-tombe – où l’on trouve le petit dièse sépulcral cher au pessimisme romantique. De l’argent, vite ! En voici : les Mémoires d’outre-tombe, dont la rédaction est en cours sont vendues à une société d’actionnaires pour deux cent mille francs. De plus, il est accordé à l’auteur une rente viagère annuelle de vingt mille francs. Voilà de quoi vivre un bon moment, la somme est énorme pour l’époque. Par contrat, Chateaubriand demande que son œuvre ne soit publiée qu’après sa mort – que les actionnaires espèrent la plus prompte possible !

    Une anecdote

    Nous l’avons échappé belle…

    Les Mémoires, Atala, René, la Vie de Rancé, les Martyrs (24 volumes !…) Nous avons bien failli être privés de tout cela ! Dans le livre III des Mémoires d’Outre-Tombe, Chateaubriand raconte qu’un jour de désespoir – il souffrait de ce qu’on appelle aujourd’hui la dépression de l’adolescent – il se saisit d’une carabine que son père lui avait donnée, et dont le coup partait tout seul si on en frappait la crosse sur le sol. Il se dirigea vers le bois, tout près du château de Combourg. Là, bien caché dans un fourré, il sort de sa poche trois balles, engage la première dans le canon qu’il met dans sa bouche… Il raconte la suite : Si le coup part, c’est que le destin veut que je meure ; si le coup ne part pas, c’est que l’instant de ma mort n’est pas encore arrivé. Je frappai trois fois avec violence la crosse contre terre, je réitérai deux fois cette épreuve en tenant toujours le bout du fusil dans ma bouche, et le coup ne partit pas. La main d’un domestique passant par hasard près du fourré se posa sur son épaule et interrompit ce mauvais jeu qui nous aurait privé de tant d’heures de lecture, d’explications, de commentaires passionnants !

    La vie de Rancé

    Chateaubriand prend son temps. Il termine ses Mémoires le 16 novembre 1841. Puis il travaille à la biographie de Dominique-Armand Jean le Boutiller de Rancé, plus connu sous le nom de Rancé, fondateur de l’ordre des trappistes en 1663. En réalité, souvent dans les pages qu’il rédige en méditant sur sa vie, sa mort prochaine, le Rancé qui apparaît possède l’âme de Chateaubriand. Ce livre est celui des ultimes confidences, les plus sincères. Pour la première fois peut-être, il ne ment pas.  Il devient attachant : ce n’est plus l’amer royaliste déçu qu’on ne l’honore jamais suffisamment, c’est un vieil homme résigné et sage, et pathétique. La vie de Rancé est publiée en 1844.

    Un homme du passé

    Chateaubriand ne mourant pas, les actionnaires qui ont acquis les mémoires s’impatientent et décident de les publier en feuilleton dans le journal La Presse ! Après de multiples remaniements de son œuvre, Chateaubriand se soumet à ces nouvelles conditions qu’il ne peut refuser, ses moyens financiers sont de nouveaux si réduits… Les Mémoires d’Outre-Tombe sont accueillies sans enthousiasme. Les lecteurs voient dans l’auteur un homme du passé qui a élevé un monument à sa fierté déçue ; ils trouvent excessifs et partiaux les portraits qu’il fait de ses ennemis, et même ceux de ses amis.

    Face à la mer !

    Perclus de rhumatismes, souffrant cruellement de la goutte, quasiment impotent, souffrant de partout, il demeure lucide et toujours vif d’esprit. Son épouse, Céleste, meurt en 1847. L’année suivante, vient son tour. Lorsqu’on vient lui annoncer sur son lit de mort, la chute de celui qu’il considérait comme un usurpateur, Louis-Philippe, il répond : C’est bien fait ! Il rend son dernier soupir le 4 juillet 1848. Ses funérailles ont lieu à Saint-Malo. Il est enterré sur le rocher du Grand-Bé, comme il l’a souhaité. Debout, face à la mer ! Enfin… Presque debout, et même carrément couché : la religion catholique refuse qu’on inhume un corps dans une autre position. Bien qu’il fût au courant de cette tradition en forme d’obligation, Chateaubriand avait maintenu son vœu de faire face à la grande bleue. Ce fut non.

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    2 Responses to Embarquons avec le vicomte de Chateaubriand, dernière partie

    1. sophiej
      16 novembre 2013 at 8 h 12 min

      Je découvre votre site , suite à mon achat guidé par la curiosité ,l’an dernier du manuel de poésiethérapie.
      Quel plaisir de vous lire!
      Pour être dans le coup ,je vous dis … « J’ACHETE! »..JM Généreux…

      • jjj
        16 novembre 2013 at 9 h 57 min

        Et pour moi, quel plaisir de lire votre message ! L’écriture est un partage, et que vous partagiez ainsi l’humour que je pratique, dans Poésiethérapie ou ailleurs, me comble.
        Bien cordialement, Jean-Joseph Julaud.

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