• Apparition

    by  • 15 avril 2013 • Poème quotidien • 0 Comments

    Apparition

     

    La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs,

    Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs

    Vaporeuses, tiraient de mourantes violes

    De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.

    — C’était le jour béni de ton premier baiser.

    Ma songerie aimant à me martyriser

    S’enivrait savamment du parfum de tristesse

    Que même sans regret et sans déboire laisse

    La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli.

    J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli,

    Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue

    Et dans le soir, tu m’es en riant apparue,

    Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté

    Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté

    Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées

    Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.

     

    Stéphane Mallarmé – Poésies, 1899

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    Extrait de la Petite Anthologie de la poésie française, éditions First, 2006 :

    Stéphane Mallarmé (Paris 1842-Valvins 1898)

    Étrange, la langue de Mallarmé ! Étrange et envoûtante ! À vrai dire, déroutante, d’abord :

    Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
    L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
    Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
    Que ne recueille pas de cinéraire amphore

    Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
    Aboli bibelot d’inanité sonore,
    (Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
    Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

    Mais proche la croisée au nord vacante, un or
    Agonise selon peut-être le décor
    Des licornes ruant du feu contre une nixe,

    Elle, défunte nue en le miroir, encor
    Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
    De scintillations sitôt le septuor.

    Stéphane Mallarmé – Poésies, 1899

    Mais lorsqu’on a compris que la règle de son jeu consiste à lancer dans la syntaxe une idée comme on lancerait une boule dans un jeu de quilles, on s’amuse ensuite à remettre debout ce qui paraissait désordre. Tout devient simple alors. On se dit soudain que poésie rime aussi avec facétie. Mais cette première étape franchie, rien, pourtant n’est résolu. La magie opère encore, l’étrangeté s’accroît. Le sens semble s’enfuir, se mettre en embuscade. Mot par mot, on conquiert le mystère… Mallarmé fut professeur d’anglais, chahuté. Ce chahuteur de mots, d’idées, admiré par ses pairs, mourut subitement, d’un spasme de la gorge. Un engorgement de mots. De mots révoltés. Peut-être…

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