• Contre les risques de la ménopause

    by  • 4 février 2013 • Textes à lire • 1 Comment

    Extrait de « Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie », paru aux éditions du Cherche midi en janvier 2012.

    Il est grand, il est blond, il est beau, il sent bon le sable chaud, il a l’allure terrible et débonnaire d’un légionnaire. Et son regard vous a figée. Il surgit de l’éternité. Lui, ô lui, vous succombez.

    Des rêves brûlants vous emportent. Il franchit votre porte, vous êtes seuls. Dans ses deux mains tendues, un bouquet de glaïeuls. « Vous… vous prendrez bien un tilleul ? »

    Il n’a pas répondu. Déjà, il vous emporte dans ses bras, vous allonge sur le sofa  « … ou bien un thé, vous prendrez bien un thé, il m’en reste, dans mon buffet… » Mais il vous prend, sans autre complément d’objet.

    Las ! Dans un miroir, vous vous regardez : les ans déjà nombreux relâchent les amarres de tout ce qui solidement, au temps du plus bel âge, attendait près du quai, gonflé d’espoir, plein de jeunesse, pour des pêches hauturières, des azurs triomphaux.

    Mais les appas tout seuls commencent leur dérive. Leur entretien est assuré depuis dix, vingt années par cet homme adipeux, sans cheveux, qui jamais ne sourit, ou si peu. Cet homme qui est votre mari.

    Et l’amant, ah, l’amant, jamais il n’est venu. Et là, tout d’un coup, vous l’avez reconnu.

    Il est grand, il est beau, mais pourrait-il m’aimer alors que jeune et vive, une pucelle le harcèle, qu’il n’a d’yeux que pour elle. Mon Dieu…

    Et soudain, oui, vous vous rappelez. C’était au lycée. Votre professeur de français – une femme ? un homme ? votre mémoire hésite, cela n’a rien qui surprend, tant, dans cette confrérie, l’individu souvent se compose de la voix de l’un et du corps de l’autre – prenait son pied, les bras en corolle fanée, en récitant Racine.

    C’était l’histoire de Phèdre, la fille de Minos et de Pasiphaé. Elle tombait amoureuse de son jeune beau-fils, Hippolyte dont le père, Thésée, était parti en déplacement. Mais Hippolyte aimait Aricie, une belle princesse pleurnichant juste assez pour l’exciter.

    La suite ? Vous ne savez plus. Mais vous avez reconnu en vous la Phèdre de l’histoire. Et il vous revient en mémoire ce que vous a dit votre gynécologue « Voici venu le temps de votre ménopause : bouffées de chaleur, palpitations, bien d’autres choses vous attendent. Ne vous inquiétez pas. Depuis la nuit des temps, avant qu’elle se repose, la femme est secouée de mille et un tourments »

    Vous avez bien fait de choisir une gynéco qui a des lettres, et qui glisse dans son discours, quelques alexandrins. On se dit tout content qu’on en a un peu plus pour son argent.

    « Je pourrais vous donner quelque décoction, quelque julep, un collutoire, ou des suppositoires. Rien n’y fera. Attendez et le temps remettra tout au pas. »

    Bon. Que reste-t-il sinon le recours au poème ? Cet extrait de Phèdre ne vous guérira pas, mais vous laissera la réconfortante certitude que bien d’autres que vous, sur le versant de l’âge, regarderont longtemps, sans espoir, ces grands blonds aux yeux bleus qui passent dans les rêves, par légions, le pas sûr, le bras fort, le regard débonnaire.

     

    Phèdre (à Oenone)

     

    Mon mal vient de plus loin. À  peine au fils d’Egée

    Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,

    Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,

    Athènes me montra mon superbe ennemi.

    Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;

    Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;

    Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;

    Je sentis tout mon corps et transir et brûler ;

    Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,

    D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables.

    Par des voeux assidus, je crus les détourner :

    Je lui bâtis un temple et pris soin de l’orner ;

    De victimes moi-même à toute heure entourée,

    Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.

    D’un incurable amour remèdes impuissants !

    En vain sur les autels, ma main brûlait l’encens :

    Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,

    J’adorais Hippolyte ; et le voyant sans cesse,

    Même au pied des autels que je faisais fumer,

    J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.

    Je l’évitais partout. O comble de misère !

    Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.

    Contre moi-même enfin, j’osai me révolter :

    J’excitai mon courage à le persécuter.

    Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,

    J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;

    Je pressai son exil, et mes cris éternels

    L’arrachèrent du sein et des bras paternels.

    Je respirai, Oenone ; et depuis son absence,

    Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence,

    Soumise à mon époux et cachant mes ennuis,

    De son fatal hymen, je cultivais les fruits.

    Vaine précautions ! Cruelle destinée !

    Par mon époux lui-même à Trézène amenée,

    J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :

    Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

    Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :

    C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

     

    Jean Racine (Phèdre, Acte I, scène 3)

     

    Notre conseil : Très bonne, l’idée du tilleul. Si le légionnaire revient, tenez-en au chaud quelques tasses. Ça calme et ça fait dormir.

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    One Response to Contre les risques de la ménopause

    1. M.P.
      5 mars 2013 at 3 h 27 min

      Lorsque l’heure de la ménopause sonnera chez moi, je m’accorderai une pause et observerai le changement de la femme que je suis vers une puissance supérieure, malgré les tourments.
      Je garderai l’espoir qu’un amant, si ce n’est le mari, peu importe son âge, sa taille…. Puisse m’aimer et me désirer pour ma beauté intérieure.
      Merci Docteur Julaud, je pense que vous auriez fait un très bon gynéco !

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