• Euro et liaison

    by  • 28 janvier 2013 • Une règle par jour • 2 Comments

     Euro et liaison

    À l’oral, les francs se moquaient de l’accord des adjectifs numéraux cardinaux. On pouvait dire en effet « quatre-vingts francs » sans se demander s’il fallait mettre un « s » ou non à vingt, la liaison avec « francs » n’étant pas possible.

    Avec l’ « euro » qui commence par une voyelle, tout change et il faut d’urgence réviser les règles concernant « vingt » et « cent » qui varient au pluriel s’ils ne sont suivis d’aucun adjectif numéral cardinal. Entre « quatre-vingts » et « euros », on doit entendre le son « z » de la liaison : « quatre-vingts – z – euros ». De même, on dira « deux cents – z – euros ».

    Si vingt ou cent ne sont pas multipliés, il est préférable de faire la liaison avec le « t » plutôt que de n’en pas faire du tout et de produire ainsi un hiatus désagréable : « vingt – t – euros » est plus facile à dire que « vingt (absence de liaison) euros ». Attention, on ne dit jamais « vingt – z – euros ». La règle est la même avec « cent » : « deux cents – z – euros », « cent vingt – t – euros » (pas de s »s à vingt, il n’y a qu’une fois vingt),  « cent – t – euros » (et non le tentant « cent – z – euros »). La liaison doit être faite avec les autres consonnes terminant les adjectifs numéraux cardinaux : « un – n – euro », « deux – z – euros », «vingt-deux – z – euros », etc

    Le Petit Livre du français correct, éditions First – 2009

    Introduction du Petit Livre des liaisons, paru en 2008

    L’europathie

    L’europathie ? Qu’est-ce donc ? vous demandez-vous soudain, vous qui peut-être, sans le savoir, en souffrez depuis un lustre, au moins… L’europathie est une maladie virale dont la plupart des français sont actuellement atteints. La souche de l’agent infectieux a été localisée au début de l’année 2002 dans tous les lieux de vente, lors de l’apparition de la monnaie européenne : l’euro. Elle a d’abord affecté la liaison « vingt euros ». On entendit en ces temps de déroute de terribles velours (1) « vingt – z – euros ». Puis surgit le syndrome du « hi – han » caractérisé par l’emploi d’une nasalisation éprouvante et malhabile où l’on eût dû entendre une liaison facile et ordinaire (le curieux sieuro, cen-euro, au lieu de l’attendu six – z – euros, cent – t – euros). L’europathie était née !

    Alors apparurent des dizaines de virus mutants qui affectèrent toutes les jointures numérales aux articulations vocaliques. On entendit des « cent – z – euros », des « deux cents – t – euros », des « mille –z-  euros »…

    Cuirs et velours (1) se multipliant, les Français commencèrent à se regarder, à s’écouter plutôt, avec une défiance où se mêlaient l’ironie (vous faites une faute de liaison, ignorant !) et la crainte du pire (c’est peut-être moi qui en fais une…).

    En 2006, l’épidémie d’europathie s’étant transformée en pandémie, la population française, dans une sorte de sursaut national proche de la pratique suicidaire des lemmings, décida tacitement d’imposer le syndrome du hi-han au pays tout entier ! Désormais serait considéré comme suspect celui qui respectait la règle de l’accord ! Désormais la norme, c’était la faute ! « Hi-han », « hi-han », « hi-han »… entendit-on partout où circulait la monnaie européenne : « troieuros » « sieuros » « huieuros » « dieuros » « vin-euros » « cen-euros », « hi-han », « hi-han »…

    Aujourd’hui, en 2008, la situation est désespérée : toutes les couches de la population française sont atteintes d’europathie chronique ! Le virus a même franchi les portes des écoles, s’est installé, sournois, sur les estrades, sur les cours de récréation ! Il triomphe dans les administrations, dans les ministères, partout, partout !

    Ce modeste petit livre est peut-être à la fois le premier et l’ultime sursaut contre les terribles ravages du virus de l’europathie. C’est un livre de résistance contre l’insupportable « hi-han » ambiant, si indigne des Français… C’est un livre de fronde, un David grammatical contre un Goliath europathe ! C’est le début d’un combat qui peut tourner court selon le camp que, massivement, vous déciderez de soutenir : celui des guéris ou celui des « hi-han » ! Etes-vous prêt ? En avant !

    Jean-Joseph Julaud – Le Petit Livre des liaisons, éditions First – 2008

    1) Cuir et velours

    Si, par excès de zèle ou par inadvertance, vous liez ce qui ne doit pas l’être, vous faites ce qu’on appelle un cuir lorsque la lettre concernée est un « t », un velours si c’est un « z » :

    Malbrough s’en va-t-en guerre,  (la liaison superflue au moyen du « t » est un cuir). L’écriture respectant la règle grammaticale serait : Malbrough s’en va en guerre.

    Il reviendra-z-à Pâques (la liaison superflue au moyen du « z » est un velours). Sans liaison, on obtient l’écriture conforme à la règle grammaticale : Il reviendra à Pâques.

    About

    2 Responses to Euro et liaison

    1. François EVRARD
      12 mai 2013 at 7 h 56 min

      Penser simplement aux liaisons qu’on sait (encore) faire avec les ans : vingt ans, cinq-cents ans etc…
      (cinq-cents avec un tiret depuis la réforme de 1990)

      Cher Monsieur, merci de rappeler utilement la nécessité des liaisons. Quant au trait d’union entre cinq et cents, il n’est nullement obligatoire et je conseille pour ma part de s’en tenir à la règle qui précise qu’on met un trait d’union pour les nombres au-dessous de cent (sauf vingt et un, trente et un, quarante et un, cinquante et un, soixante et un, soixante et onze). La réforme de 1990 dont vous parlez n’est pas une réforme, c’est une liste de propositions qui ont été faites pour « rectifier » ce qui a été jugé bizarre ou illogique en orthographe – alors que, si on approfondit un peu, tout, absolument tout, est bizarre, illogique et arbitraire en orthographe. Ce ne sont pas les auteurs de ces propositions qui vont imposer des changements, c’est vous, c’est moi, c’est l’usage qui décide. Et comment sait-on si l’usage a décidé ou non d’appliquer ces « propositions » ? Il suffit de lire tout ce qui est imprimé, tout ce qui se trouve sur Internet, ou sur les écrans quels qu’ils soient pour constater que presque rien n’est passé dans l’usage. Ce n’est pas moi qui le décide, je le constate comme n’importe qui peut le constater : les nombres dans quelque publication que ce soit, depuis 1990, sont écrits comme ils s’écrivaient avant la prétendue « réforme ». Celle-ci n’a contribué qu’à jeter un trouble considérable dans les esprits, à fragiliser les acquis, à créer des conditions favorables à la naissance de nouvelles erreurs, car on mise sur le fait qu’une approximation orthographique sera absoute par la « réforme »… Il faut mettre en garde ceux qui, sous prétexte de « modernité » veulent tout appliquer de ces changement orthographiques : ce n’est plus une bonne note sur vingt qu’on pourrait sacrifier au cas où le correcteur n’aurait pas mis en oeuvre ces rectifications, c’est un marché qu’on peut perdre, car, à l’heure où les « spams » se sont multipliés, les messages comportant plus de trois ou quatre erreurs (ou jugées telles alors que ce sont peut-être des « rectifications »…) sont systématiquement rejetés ! Chaque année, selon une enquête de Textmaster, ce sont des centaines de millions d’euros qui sont ainsi perdus par les sociétés commerciales, industrielles, par les entreprises. On ne fait pas confiance à un message qui véhicule des erreurs. On se rend compte combien sont vaines et inutiles les polémiques concernant la « réforme » de l’orthographe. Ce n’est plus l’homme qui commande ou gouverne, c’est la machine, c’est l’ordinateur, et si on désire le faire se plier à des « réformes », ce ne sont pas des millions d’euros qu’il faudra dépenser, mais des milliards. Tout cela parce qu’on a oublié que la langue française se conquiert chaque jour, qu’il faut lui consacrer par semaine quelques dizaines de minutes pour faire le point avec elle. Enfin, n’oublions pas que ces « réformes » ne sont destinées qu’à atténuer le sentiment de culpabilité de celui qui commet des erreurs. L’évolution de la langue n’est donc pas une affaire de linguistes mais de psychologues. Eux seuls sauront libérer de leurs complexes ceux qui ont des difficultés avec l’orthographe, eux seuls sauront les persuader que, s’ils ne se laissent pas enliser dans la culpabilité, ils vont développer une énergie formidable pour progresser, et cette énergie va leur permettre d’élaborer un plan personnel de progression auquel ils n’avaient jamais pensé ! Sus aux geignards, place aux conquérants !

      Voici la mise au point effectuée par l’Académie française à propos de ces « réformes » :

      Un ensemble de rectifications orthographiques ont été recommandées par le Conseil supérieur de la langue française et publiées en décembre 1990 dans les Documents du Journal officiel.
      Dans sa séance du 17 janvier 1991, L’Académie française a adopté la déclaration suivante :
      L’Académie française rappelle que le document officiel, souvent improprement appelé réforme , document qu’elle a, après examen de sa commission du dictionnaire, approuvé à l’unanimité dans sa séance du 3 mai 1990, ne contient aucune disposition de caractère obligatoire. L’orthographe actuelle reste d’usage, et les recommandations du Conseil supérieur de la langue française ne portent que sur des mots qui pourront être écrits de manière différente sans constituer des incorrections ni être considérés comme des fautes. Elle estime qu’il y a avantage à ce que lesdites recommandations ne soient pas mises en application par voie impérative et notamment par circulaire ministérielle. Selon une procédure qu’elle a souvent mise en oeuvre, elle souhaite que ces simplifications et unifications soient soumises à l’épreuve du temps, et elle se propose de juger, après une période d’observation, des graphies et emplois que l’usage aura retenus. Elle se réserve de confirmer ou d’infirmer alors les recommandations proposées.

    2. Christian LADANE
      28 mai 2013 at 12 h 06 min

      Bonjour Monsieur.
      Je partage votre indignation devant cette évolution spécifique de notre bien commun et m’interroge depuis ses débuts sur le silence assourdissant à son sujet de nos académiciens et autres linguistes éminents. Le mal a aujourd’hui atteint des proportions plus qu’alarmantes puisqu’il ne se limite plus, et depuis belle lurette, à l’emploi du seul mot «euro». Vous aurez entendu comme moi des journalistes, des politiciens, des scientifiques, et d’autres, se laisser aller à prononcer «deux cen-étudiants», «vin-artistes», «ils son-arrivés», ou dire «si-euros» et, la seconde d’après, «dix-zeuros». Sont-ils complètement perdus ? Je ne pense tout de même pas que ces personnes restent incapables d’assimiler les quelques règles que vous rappelez si justement. Il me semble plutôt y déceler une sorte de plaisir à reproduire quelque chose qu’on a entendu et qui paraît non seulement plus facile, mais qui sonne aussi comme comme neuf, peut-être même comme branché. Comment expliquer autrement l’apparition du mot «déj’ner», par exemple, car malheureusement l’europathie n’est pas la seule maladie à progresser parmi nous. Et je me demande si on osera, un jour, s’abstenir de toutes les liaisons au sein de la phrase «après vingt ans, on a vingt et un ans». «Hi-han», «hi-han» ! Je connais peu de personnes qui, comme nous, souffrent à ces sonorités….. Mais j’en connais, et peut-être devrions-nous, avec elles, saisir une autorité linguistique et la sommer de braver la ringuardise que, peut-être, elle redoute trop pour intervenir. Tout de même, se met-on à la place de chinois désireux d’apprendre à parler notre langue et confrontés à un fatras de prononciations mouvantes ? Il en va peut-être ainsi dans leurs idiomes ? Mais veut-on réellement promouvoir la francophonie ?
      Christian LADANE

    Répondre à Christian LADANE Annuler la réponse.

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *